« Pica » : le succès… par accident !


30 mai 2025

Inspirateur-dessinateur de la BD à succès « Les profs », Pierre Tranchand, plus connu sous le nom de « Pica », vit aujourd’hui au Pradet à plein temps. Malgré un AVC qui, depuis 2009, freine une de ses mains d’artiste au quotidien, à 72 ans, il poursuit inlassablement son œuvre de créations, à la palette graphique plus adaptée à son handicap. 

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Officiellement, il est retraité depuis 11 ans. Mais Pierre Tranchand est prolixe. Depuis 1978, il a déjà illustré plus de 5000 pages, Mickey, Pif Gadget et Spirou compris, et il n’est pas rassasié par le succès. Malgré 6 700 000 albums de la série « Les Profs » vendus depuis 25 ans et deux adaptations cinématographiques, celui qui a connu tardivement le succès sous le nom de « Pica » continue de nourrir des projets et de lutter contre les handicaps. Parce qu’« il faut s’adapter et se battre dans la vie pour continuer d’avancer » assure-t-il aujourd’hui, évoquant aussi « le succès par accident ».

 

Vous êtes installé au Pradet depuis quand et pourquoi ?

Je suis ici depuis 2009. J’ai fait un AVC (accident vasculaire cérébral) en 2009 et je suis resté sur place dans ma résidence secondaire…

Rien à voir avec la présence de Mourad Boudjellal dans le coin ?

Pas du tout. Hasard de la vie, je n’ai pratiquement jamais travaillé pour lui.

 

Comment expliquez-vous le succès phénoménal des Profs ?

Si je pouvais l’expliquer, je l’aurais fait avant ! (rires). J’ai attendu 23 ans avant d’avoir du succès. Je crois que ça a marché parce que c’est un sujet universel. Après, un succès ne s’explique pas. J’y croyais parce que je pensais que ça toucherait les gens, mais les éditeurs n’y croyaient pas puisque j’ai été publié par un tout petit éditeur qui n’existait même pas à l’époque, en auto-édition.

Comment est née l’idée ? C’est une idée commune avec votre scénariste Erroc ?

J’avais l’idée de faire une histoire de profs mais je pensais qu’il fallait être prof pour ça. Mon scénariste n’était pas du tout prof. Il avait travaillé à l’ANPE. Mais c’était un sujet qui n’avait jamais été exploité et il s’est lancé. Pour ma part, j’ai donné quelques idées mais très peu écrites. On a été pères de famille, élèves tous les deux et mon scénariste a beaucoup d’imagination. Alors on transpose les événements et on se dit : que ferait un prof dans cette situation ? L’actualité nous donne aussi plein de pistes. Je suis très admiratif de mon scénariste qui depuis 25 ans a toujours des idées formidables même s’il a pris aujourd’hui un co-scénariste car il s’épuise un peu …

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Pourquoi le surnom de Pica ?

En 1995, j’étais “has been” dans le métier et j’ai perdu mon boulot. Pendant 18 mois, je n’ai pas travaillé. J’ai alors changé de nom car les libraires disaient : « Ah, Pierre Tranchand, on ne vend pas ! »

J’ai pris le nom de ma mère, je l’ai coupé en deux et il est resté Pica. J’ai aussi changé un peu de style, et voilà comment je me suis mis à vendre énormément !

 

Pour réussir, il faut savoir s’adapter, dans ce métier aussi !

On doit toujours s’adapter parce que de toute façon, il faut passer d’une série à une autre sans s’accrocher. C’est un métier très difficile. Le succès est un accident. Il y a très peu de gens qui réussissent. Moi, j’ai eu de la chance : j’ai gagné au loto de la BD.

 

Un conseil pour un dessinateur en herbe qui rêve de vivre votre vie ?

Je trouve qu’aujourd’hui, ce métier, c’est l’enfer. Les prix à la page sont en baisse continuelle. Il y a trop de monde sur le marché. Si on est passionné, il faut le faire, mais pour en vivre, c’est très compliqué.

 

Être l’homme d’un seul succès, n’est-ce pas un peu frustrant ?

C’est déjà pas mal d’en avoir un. J’ai plein d’amis qui n’en ont jamais eu. Mais j’ai des succès d’estime. Il y a plein de fans qui viennent pour mes anciennes séries, avec une petite larme et qui disent : vous avez bercé ma jeunesse. Donc, je n’ai pas travaillé pour rien pour PIF, MICKEY, qui étaient de grands magazines avec un gros tirage. En fait, je ne vendais pas d’albums mais j’étais très connu.

 

Les films ont-ils boosté votre notoriété ?

Sûrement. Surtout le premier. On a alors beaucoup communiqué sur la BD et on a vendu beaucoup plus d’albums l’année de sa sortie en salle. Aujourd’hui, il y a des gens qui croient que les BD sont l’adaptation des films, alors que c’est l’inverse !

 

Quels sont vos projets actuels ? 

J’ai arrêté « Les profs » car après mon AVC, je n’arrivais plus à tenir le rythme. Je fais une série parallèle qui s’appelle : « Les profs refont l’histoire » et je suis sur le tome 4.

 

Votre quotidien au Pradet ?

Je me lève, à huit heures je suis dans mon bureau et je travaille jusqu’à 7 heures du soir. Et je suis à la retraite depuis 11 ans.

 

Rester dans sa bulle, sans jeu de mots, c’est aussi une façon de se protéger du monde ?

Depuis que j’ai eu cet AVC, j’ai une main handicapée et je marche très difficilement : je ne peux pas bricoler, pas jardiner. Donc je dessine sur palette graphique car je ne peux plus le faire sur papier, comme avant. Il faut s’adapter et se battre dans la vie. Un AVC, ce n’est pas un rhume de cerveau, c’est un cataclysme. Je me suis retrouvé coupé en deux du jour au lendemain. C’est une lutte tous les jours pour continuer à avancer.