DOUBLE TOMBOLO DE GIENS : DEUX VISIONS DU MONDE QUI S'AFFRONTENT


03 avril 2024

Faut-il préserver coûte que coûte le tombolo ou laisser faire la nature ? Ce qui paraissait une évidence par le passé, fait aujourd'hui l'objet d'un débat. Mais à la fin, c'est l'Etat qui tranchera !

Tous les hivers, les phénomènes météorologiques grignotent le cordon constitué d'alluvions. Et encore plus cette année ! Ces dégâts raisonnent comme un signal d'alarme ! Selon les experts en charge des travaux actuels, l'année a été exceptionnelle avec une multiplication de tempêtes. Mais l'exceptionnel n'est-il pas en train de devenir la norme ?

 

HYERES_00114921_HD.jpg (1.19 MB)

©villedehyeres - Double Tombolo de Giens

UNE DIGUE SOUS-MARINE

Le Mercredi 21 Février a marqué l'actualité du département. Les pieds dans le sable, ou du moins ce qu'il en reste, l'ensemble des vice-présidents de la métropole Toulon Provence Méditerranée, associations locales et présidente du parc national de Port-Cros, ont réalisé solidairement une marche sur la route du sel. Leur objectif ? Informer l'opinion publique sur les dernières discussions menées avec Hervé Berville, le secrétaire d'État auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, chargé de la Mer et de la Biodiversité, et communiquer sur leur proposition de construire une digue sous-marine pour briser la houle.

 

UN PROJET DÉJÀ BIEN AVANCÉ

Les études ont été menées par le cabinet Artelia Eau et Environnement. Parmi ses recommandations, la construction d'une digue en béton de 450 mètres de long, immergée à 40 centimètres ou plus de la surface et située à 150 mètres au large. Le coût est estimé à 4 millions d'euros amortissables en 10 ans, sachant que la ville hyéroise dépense chaque année entre 400 à 500 000 euros pour remettre le site en état. Pour information, cette année, la facture a presque atteint le million ! Pour les élus, il y a urgence à protéger la route du sel, la plage de l'Almanarre et les vieux salins. Submergé par l'eau de mer, ce site qui offre un lieu de reproduction pour de nombreux oiseaux migrateurs deviendrait trop salé pour permettre à cette biodiversité de subsister.

 

LAISSER FAIRE LA NATURE

Mais depuis ces dernières années, un autre son de cloche vient parasiter le message des élus métropolitains, basé sur un empirisme qui ne souffre d'aucune contestation. Dans l'histoire, l'homme n'a cessé de façonner la nature à son avantage. Détournement du lit des rivières et des fleuves, construction de digues... Et c'est ainsi que l'eau, reprenant son cours naturel, a provoqué des inondations parfois meurtrières... Que des largades hivernales ont submergé les ouvrages censés protéger les populations... Et si, pour une fois, on laissait faire la nature ? Certes, la plage de l'Almanarre et la route du sel pourraient disparaître, engloutis par une eau qui, atteignant les vieux salins, pourrait faire disparaître sa biodiversité mais peut-être au profit d'un autre écosystème ?

 

Cette nouvelle vision est-elle réaliste ? Dogmatique ? Basée sur un nouveau paradigme lié au  dérèglement climatique ?  Fin 2021, un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable du ministère de la transition écologique préconisait d'étudier la possibilité d'un scénario sans intervention humaine. Le débat est ouvert...

 

 La presqu’île de Giens à Hyères – le double Tombolo .png (388 KB)

La presqu’île de Giens à Hyères – le double Tombolo – Crédits O.Pastor TPM

 

 varinfos_jean-pierre giran 01.JPG (6.40 MB)

Jean-Pierre Giran : “ Le statu quo conduira à la disparition du tombolo’”

En tant que maire de Hyères, Jean-Pierre Giran, président de la métropole TPM, est l’un des élus les plus investis dans ce dossier. Il concède que la création d’une digue sous-marine qu’il prône n’est pas la solution idéale, mais elle permettra de préserver le site durant quelques années, afin de permettre aux experts de trouver d'autres solutions plus durables.

Jean-Pierre Giran, pourquoi voulez-vous construire une digue sous-marine ?

Si on ne fait rien, le tombolo finira par disparaître. Mais jusque-là, est-ce que tous ceux qui vivront n’ont pas droit à ce que des efforts soient faits pour conserver cette exception naturelle ? J’ai récemment rencontré le nouveau ministre de la biodiversité. Il m’a donné l’impression que l’on avait progressé dans le niveau d’écoute. Reste à convaincre l'administration que l’on n’atteindra jamais la solution idéale et que le “statu quo” conduira inévitablement à la destruction et à la disparition de ce site exceptionnel. Nous ne recherchons pas l’idéal pour l’instant, mais nous avançons une possible amélioration.

conference_presse_tombolo_giens_2024_016.JPG (7.91 MB) 

Les élus présents à la Conférence pour la défense du Tombolo – Crédits O.Pastor TPM

Seul l’Etat peut décider ?

Je ne peux faire aucuns travaux car seul l’Etat  peut décider lorsqu’il s’agit de sites remarquables. Pour l’instant, seul le ministère de l’environnement est habilité à donner ce genre d’autorisation, c’est pourquoi j’essaie de convaincre dans un esprit républicain.

 

Quel type de digue souhaitez-vous faire ?

Une digue sous-marine positionnée à une profondeur qu’il faudra déterminer, longue de 400 mètres. Certaines ont déjà été construites dans d’autres communes, elles sont quelquefois plus longues. Je m’appuie sur des études réalisées par une société spécialisée mais je sais que nous n’inventons rien. Des thèses  sur l’érosion du tombolo ont été menées précédemment par des professeurs d’université, notamment de Toulon, et les résultats ont conduit à une nécessité de construire une digue pour casser la courantologie.

 

Des communes varoises en ont-elles réalisées ?

Oui, à Sainte-Maxime, à Cavalière et au Lavandou bientôt. Je ne sais pas si elles ont déjà constaté des résultats, mais elles sont construites. Celle que nous voulons réaliser n’est pas plus importante que les autres. Quant au matériau, ce pourrait être du béton mais on pourrait évoluer vers d’autres matériaux, pourquoi pas une digue corallienne ?

 

Si le projet était validé, combien de temps faudrait-il pour la réaliser ?

D’abord, il faudra réaliser des études complémentaires. On peut estimer que les travaux débuteraient dans un an, un an et demi, et dureraient 2 ans voire 2 ans et demi.

 

La dune tiendra-t-elle d’ici là ?

Chaque année on essaie de renforcer le site mais celà coûte cher à la commune. Mais comment lutter contre l’eau… Ca peut résister un an, deux ans, cinq ans, mais pas plus ! Mais si je prône cette solution intermédiaire, c’est qu’il nous faut à tout prix préserver la route du sel. Elle est primordiale en cas d’évacuation des habitants qui résident sur la presqu’île de Giens. La disparition de cet accès nous obligerait à n’emprunter qu’une seule route, celle de la Capte, et vous savez en saison estivale, à quel point elle est encombrée.

Gilles Vincent, vice-président de la Métropole TPM, président de la commission environnement  :

 « Dans ce dossier, on est vraiment dans notre position d’élus. On travaille pour l’environnement et pour les populations. Ne rien faire pour freiner l’érosion du tombolo, c’est prendre le risque de voir les salins envahis par l’eau de mer. Ici des espèces d’oiseaux se sont installées, des flamands roses se sont même sédentarisés et des tortues vivent dans cet écosystème. Si l’eau parvient à atteindre les salins, l’eau sera plus salée et c’est la fin de cet écosystème qui a mis tant d’années à se constituer ».

Isabelle Montfort, présidente du parc national de Port-Cros :

“Nous sommes des écologues, pas des écologistes au sens politique du terme, nous n’avons pas de dogme. Leur position ne tient pas la route du point de vue scientifique et du développement durable. Nous avons été contacté pour avis et nous nous sommes rangés aux côtés de la métropole pour des raisons paysagères, sécuritaires et de biodiversité.Il faut sauver le tombolo et les salins. Laisser faire la nature et laisser disparaître le tombolo, c’est non ! Sur la solution technique proposée, il est encore possible d’affiner le choix, ce pourrait être des récifs qui n'altèrent pas les herbiers de posidonies”.

 

varinfos_benoit gerrin 01.JPG (6.48 MB) 

©varinfos - Benoit Guerrin

Benoît Guérin : “la Route du sel est l’arbre qui cache la forêt”

Benoît Guérin, est porte-parole du collectif Hyères Écologie Citoyenne qui rassemble quelque deux cents sympathisants pour mener des actions en faveur de l’environnement à Hyères. Patron pêcheur, ingénieur halieute, il estime que la nature et le changement climatique doivent faire leur œuvre. Selon lui, la position des politiques est un combat d’arrière-garde pour préserver une certaine fréquentation touristique.

 

Benoît Guérin, que pensez-vous de cette idée de créer une digue sous-marine ?

La montée des eaux, les épisodes climatiques et les entrées de la mer sur le tombolo existent depuis plusieurs siècles. Mais en 1970, on a décidé de réaliser une route en bitume pour maintenir le flot de touristes en saison, avec quelque 2500 véhicules par heure. Je ne suis pas un expert de l’érosion côtière mais cette route en dur aggrave la situation car les vagues viennent casser le cordon de sable autour, lequel n’est plus naturel car rechargé chaque année. Sur ce projet de digue à l’Almanarre, on a aucune garantie à part son coût et son impact sur la posidonie. C’est une fuite en avant par rapport aux questions que nous devons nous poser, comme la montée des eaux et la sur-fréquentation routière sur la presqu'île de Giens. Pour moi, cette route est l’arbre qui cache la forêt. 

 

Selon vous, pourquoi l’Etat n’a pas encore dit oui à cette proposition ?

Vous vous imaginez bien qu’ils se sont penchés sur ce dossier, et que mécaniquement, cette digue n’est pas la solution prônée par les scientifiques. 

 

Pourquoi ?

Aujourd’hui on voudrait croire, en fermant les yeux, qu’avec le béton on résoudra tout… Elever une digue en béton enlèvera toute son attractivité au site. On peut, à mon avis, proposer une zone vivante, en pleine communication par saison entre la mer et les étangs. Ce serait alors un espace naturel accessible avec des navettes à disposition du public avec un parking à proximité. Nous pensons que les élus sont dans une fuite en avant.

 

Vous évoquez la route du sel ?

On comprend que ce besoin d’accès est évident, pour les secours et les arbanais. Mais ce pourrait être une route en terre, pourquoi vouloir la bitumer à tout prix ? Certes, elle resterait impraticable pendant certains jours en hiver mais pourquoi ne pas envisager un accès réservé qui freinerait la sur-fréquentation ? Cet aménagement a été mal conçu, avec une canalisation qui passe dessous, un émissaire d’égout qui arrive au nord-ouest de la presqu'île et qui affecte la salinité. Cela cause un impact sur la posidonie, d’ailleurs quand on regarde les photos des années soixante, on constate qu’on a perdu la végétalisation naturelle, qui jouait un rôle majeur en maintenant la dune.  

 Anne Senttimelli, Présidente de l_association Nature & Préserve.jpg (2.77 MB)

©anne settimelli

Anne Settimelli, Présidente de l'association Nature & Préserve

D'abord, il est important de préserver le site qui est exceptionnel. D'autre part, c'est une zone naturelle incroyable, de nidification, de reproduction et de nourrissage. Si les niveaux d'eau changent, ça va perturber toute la faune qui vit dans les marais. Construire une digue en béton n'est pas possible car ça va modifier le trait de côte et les conséquences risquent de se décaler. La montée des eaux est inévitable, tout comme l'érosion, alors pourquoi ne pas essayer d'accompagner ce changement plutôt que de le combattre ? Imaginons que la route du sel soit fermée mais reste accessible à pied ou en mobilité douce, est-ce-que ce n'est pas une plus-value pour la région ? En tous cas, ce n’est pas en coulant une digue que le problème va se résoudre.”