
29 mars 2025
Face aux dernières mesures gouvernementales, toute la filière solaire se mobilise !
Des représentants de la filière photovoltaïque, magnifestent au salon de la transition énergétique Bepositive 2025 à Lyon - photo CDPF
Baisse des aides, des tarifs de revente de l’électricité, la nouvelle feuille de route énergétique du gouvernement recentre sur les grandes installations solaires au détriment des particuliers. Le CDPF (Collectif de défense du photovoltaïque français) dénonce un moratoire “déguisé” pour privilégier le nucléaire et lance une action en justice défendue par Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre, devant le Conseil d’État et la Commission européenne.
Corinne Lepage, vous estimez le projet gouvernemental incohérent et idéologique. Pourquoi ?
De fait, il s’agit bien d’un moratoire, les objectifs rabougris tournent le dos à l'intérêt de la filière et des français car le renouvelable, en particulier le solaire, est une énergie qui est de moins en moins chère. Elle permet aux particuliers et aux entreprises de disposer d'une énergie qui, sur le moyen terme, sera la moins coûteuse. La stratégie mise en place vise à déconstruire et à détricoter la partie de la filière renouvelable qui est sur les petits projets, pour se concentrer sur de gros projets.
Selon vous, ces mesures cachent-elles une volonté de privilégier la filière nucléaire ?
Pour justifier le programme nucléaire, l’État a décrété avoir besoin d'énormément d'électricité, en avançant des projections considérées par beaucoup de professionnels, comme totalement exagérées. Au lieu de baisser ses prétentions en construisant trois réacteurs nucléaires au lieu de six, le gouvernement décide de baisser la part du renouvelable. Ainsi le prix de revient du kilowattheure nucléaire sera globalement deux à trois fois plus élevé que celui du prix de revient solaire ou éolien. Il y a donc un véritable problème financier.
La filière s’était pourtant engagée dans une bonne dynamique ?
En 2010, nous avons déjà eu un accident industriel majeur en France, avec un moratoire qui a détruit près de 10 000 emplois, alors que tout un tissu économique était en train de se mettre en place. La filière s'est reconstituée très lentement, avec beaucoup de difficultés car on ne produit pas ou très peu de panneaux solaires dans l’Hexagone. Cette même filière photovoltaïque qui représente désormais près de 70 000 emplois directs et indirects, est aujourd’hui en péril. La réduction des tarifs de rachat de l’énergie solaire et des primes à l’auto-consommation, tout comme l’annonce d’une baisse de la TVA à 5,5% qui ne sera effective qu’en octobre 2025, vont inciter les gens à mettre à l’arrêt leurs projets photovoltaïques. C’est une véritable politique de gribouille.
La France est-elle à la traîne face à ses voisins européens ?
Alors que le renouvelable explose dans le monde, notamment en Chine, nous sommes en train de louper complètement le coche de cette transformation. En France, les énergies renouvelables représentent moins de 25 % du mix électrique, contre près de 50% en Europe. En 2020, le Green Deal a fixé un nouvel objectif de 42,5 %, pour la part des énergies renouvelables dans le mix électrique européen d'ici à 2030. Des poursuites judiciaires ont été engagées contre la France dans le cadre de l’UE car elle n’a pas atteint ses objectifs de 2020, alors imaginez en 2030…
Propos: Leticia Farine
La Filière dans le Var
Joël Oros -pdt SOLEIL DU SUD - crédit photo Var Infos
“C’est la foudre instantanée !”
Ancien de chez EDF et VINCI, Joël Oros a créé l’entreprise “Soleil du Sud” en 2009. Elle totalise 45 salariés, dans une holding forte de 46 entreprises. Figure incontournable du solaire dans le Var, il pèse 14 millions d’euros de chiffre d’affaires. “Soleil du Sud” est implanté à Rocbaron. À ce jour, 120 centrales sont en activité et 40 sont en cours de construction, cela représente une puissance globale de 30 mégawatts.
La baisse de TVA a-t-elle des conséquences ?
La difficulté est le calendrier. D’annoncer que le taux de la TVA baissera à 5,5% en Octobre a pour effet, dès aujourd’hui, de repousser les ventes actuelles, car les clients attendent logiquement cette baisse importante. Si l’État ne fait pas marche arrière, ce sera compliqué pour les professionnels spécialisés dans la vente aux particuliers. Selon nos informations, la TVA à 5.5 sera assujettie à des conditions notamment de stockage, soit à l’utilisation d’un système de pilotage sophistiqué. Bref, à la sortie, personne n’y gagnera.
Pour vous, ce “moratoire déguisé” est une douche froide ?
Pire, c'est la foudre instantanée sur un marché de courte durée de travaux qui n'aura pas le temps de s'adapter. Si pendant 4 mois vous perdez 50% de votre chiffre d'affaires, l'histoire est écrite, vous disparaissez. “Soleil du Sud” est protégé par son métier de producteur. Les centrales nous appartiennent, mais nous serons rapidement conditionnés aux règles que va imposer l’État. Avec un carnet de commandes plein jusqu'en 2026, on a le temps de voir arriver le train mais ça commencera à être préoccupant si, dans 8 ou 9 mois, on ne nous commande plus de nouvelles centrales ! Ça posera un problème dès l'été ou l'automne 2026.
Comment percevez-vous cette nouvelle stratégie de l’Etat ?
En France, on n'a jamais eu de stratégie sur l'énergie électrique parce que le nucléaire donnait l'impression de nous protéger. Sauf que nos centrales vieillissent et qu’elles ne pourront plus produire. Avec quoi va-t-on fabriquer notre électricité ? Certes, un projet de construction de centrales nucléaires est lancé mais qu’en sera-t-il dans 20 ans ? Le rendez-vous est pris.
Charles Brucker est directeur du Développement de Ensol - crédit photo Var Infos
“Il y a des risques sur l’emploi”
Charles Brucker est directeur du Développement de Ensol. Basée à Toulon, cette jeune société, créée en 2023, est spécialisée dans les installations d'autoconsommation photovoltaïque. Elle emploie 50 salariés.
Votre entreprise est-elle en danger aujourd'hui ?
Alors que depuis une quinzaine d’années, le gouvernement participe à l’essor du solaire, il envoie là un mauvais signal au marché et un mauvais message pour nos clients. Jusqu’ici l’Etat avançait les fonds pour aider à ce type d'installation auprès des particuliers. C’est un coup d’arrêt brutal ! Et l’annonce de probables solutions dans 7 à 8 mois va geler l’activité durant toute cette période. Le risque est de mettre en pause toute la filière jusqu'en octobre et malheureusement, vous le savez, les entreprises ne peuvent pas mettre en pause leurs charges, les salaires, le paiement du matériel… Le principal problème, c'est le calendrier.
Quelles conséquences sur l’emploi ?
Nous sommes en pleine croissance et tous les mois, nous créons entre 3 et 6 emplois. Nous avons même prévu d’embaucher prochainement 5 à 10 personnes pour couvrir d’autres régions dont la région PACA. Mais si notre activité doit être ralentie sur les mois à venir, cela va freiner le développement avec une crainte de devoir se séparer de certains collaborateurs. Nous entrons pleinement dans une phase d’instabilité.
A votre connaissance, c’est le cas aussi pour toutes les entreprises de la filière ?
Pour le service auprès des particuliers, évidemment. Avec 80 installations par mois, Ensol fait partie des entreprises moyennes mais les sociétés plus petites et donc plus fragiles seront plus rapidement impactées.
Vous avez rejoint un collectif baptisé Enerplan pour soutenir la filière du solaire en France…
Entre les professionnels tournés vers les particuliers et le marché du tertiaire, il existe une belle solidarité qui s’exprime à travers des groupes Whatsapp. Nous participons avec Enerplan* à cette mobilisation pour se battre solidairement et faire entendre notre voix auprès du gouvernement.
*ENERPLAN est un syndicat fondé en 1983 qui représente et défend les intérêts des professionnels de l'énergie solaire renouvelable
Patrice Hubière pdt Photovoltaïque 83 - crédit photo Var Infos
“Il y a de l’amateurisme dans cette décision”
Patrice Hubière est le président de la société Photovoltaïque 83 située à la Farlède. Son entreprise est en pleine croissance et rayonne sur la région Paca avec 500 chantiers par an. Il encaisse le coup mais reste amer face aux mesures.
Les annonces gouvernementales ont-elles déjà impacté votre entreprise ?
Actuellement, dans le secteur professionnel, nous faisons face à une certaine retenue de la part de quelques clients. Bien sûr, cela risque d'impacter quelques chantiers importants dans le secteur résidentiel.
Quelles entreprises sont les plus touchées ?
Toutes sont plus ou moins impactées. A mons sens, l'idée du gouvernement est de favoriser les grandes entreprises, au détriment de celles qui œuvrent sur des segments plus petits, mais cela va impacter durement le développement de la totalité des sociétés. Chez nous par exemple, nous devions embaucher entre une et trois personnes en 2025, nous allons plutôt essayer de ne débaucher personne, de garder nos 18 collaborateurs, en attendant que l'orage passe.
La filière doit-elle se réinventer ?
Nous sommes la seule profession en France à avoir subi, en moins de 15 ans, deux moratoires successifs de la part de l'État. Je ne suis pas forcément pour les perfusions permanentes mais la radicalité des mesures n'est pas acceptable. Nous avons atteint une maturité et une vitesse de croisière. L'effet d'annonce du gouvernement ferme les robinets du jour au lendemain et ne permet aucune solution d’adaptation. Je pense quand même qu'il y a de l'amateurisme derrière tout ça et de la méconnaissance, voire même du lobbying nucléaire. À partir de là, il faut en tirer les conséquences et s'absoudre de ces aides, de ces perfusions, réinventer un nouveau modèle économique.
Floriane de Brabandère – porte parole du Collectif de défense du photovoltaïque français (CDPF)
Le gouvernement souhaite faire des économies et favoriser la filière nucléaire aux énergie renouvelables. Les grands acteurs et les grandes puissances d’installation seront donc favorisées (car rentables pour les grands acteurs de l’énergie qui font pression) à l’instar des installations pour les particuliers et les entreprises. Cela entraînera donc de la casse dans la filière solaire pour 30 000 emplois directs.
Ce que cela enlève aux particuliers : les particuliers verront se raréfier les installateurs fiables et de proximité, le coût de l’investissement augmenter et la rentabilité de leurs installations diminuer s’ils ne s’équipent pas en stockage. Cela prive les ménages français les plus touchés par la hausses des coûts dé l’électricité de pouvoir devenir producteur de leur propre énergie et d’ainsi baisser leurs factures (puisqu’un kwh produit avec leur installation est un kwh en moins sur la facture !). L’investissement sera donc moins facilité, mais le passage au solaire reste pertinent pour prendre en mains son budget énergétique et s’assurer de contrer la hausse des prix dans le temps.
Présentation du CDPF :
Le Collectif de Défense du Photovoltaïque Français (CDPF) est une initiative née dans l’urgence face à l’annonce, le 13 février 2025, d’un moratoire déguisé sur les installations photovoltaïques de moins de 500 kWc. Ressuscitant l’esprit du mouvement TPAMPS (Touches Pas à Mon Paneau Solaire), créé en 2010 lors du premier moratoire, le CDPF réunit des acteurs du secteur solaire pour contrer ces mesures jugée brutales. Parmi ses fondateurs, des pionniers comme la famille Rosec, dirigeants de Solaire Avantages dont le représentant Bruno avait déjà participé au documentaire Les Voleurs de feu, Sylvain Robillard, alias « Papy Solaire » reconnu dans la filière pour son expertise pointue, Nicolas et Élodie Dubecq, Dirigeants de l’entreprise familiale Dubecq et Fils, pionnière du photovoltaique depuis 18 ans avec plus de 2000 installations à son actif et Floriane de Brabandère, porte-parole d’une nouvelle génération d’acteurs engagés pour l’énergie solaire. Ensemble, ils dénoncent un coup d’arrêt qui menace emplois, espoirs, et l’ambition d’une transition énergétique enfin pérenne et décarbonée.
Les actions en cours/à venir :
Nous avons en l’espace de quelques jours réunis une communauté en ligne de plus de 2400 membres Linkedin et structuré la création de canaux de communication dédiés aux rassemblements de la filière, une carte des membres, un livre blanc et une pétition.
Propos: Leticia Farine