Des étés plus courts mais plus chauds ? Des hivers plus doux ? Qu’en sera-t-il des arrières-saisons ? Au fil des ans, la saisonnalité nous emmène dans un voyage en terre inconnue.
Rassurez-vous, les saisons n’ont pas disparu… du moins, pas encore ! Mais tout le monde en est témoin, il se passe bien quelque chose au-dessus de nos têtes. Historiquement, les saisons ont été définies par des cycles climatiques relativement prévisibles, façonnant les écosystèmes, les cultures agricoles, et même les modes de vie humains. Cependant, avec l'accélération du changement climatique, ces cycles ont commencé à se modifier de manière significative.
En région et partout ailleurs, les preuves de ces changements sont multiples et variées. Par exemple, des hivers moins rigoureux et des étés de plus en plus chauds deviennent la norme dans de nombreuses régions du monde.
UN MAÎTRE-MOT : L’ADAPTATION
Ces dérèglements entraînent des conséquences écologiques importantes, comme le déplacement des espèces animales et végétales vers des latitudes auparavant inhospitalières pour elles, la modification des calendriers de migration et de reproduction, ou encore l'augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes. Désormais les saisons se manifestent différemment, et leur prévisibilité a diminué. Conséquence : l’adaptation des sociétés humaines, que ce soit dans les pratiques agricoles, la gestion des ressources en eau, ou encore dans la préparation aux catastrophes naturelles, est essentielle. Et rien ne sera possible sans une meilleure compréhension !
Élisabeth Holtzer. Crédit photo Muséum d'Aix-en-Provence (2)
Plus de canicule et plus de sécheresse dans les années qui viennent.
Elisabeth Holtzer est médiatrice scientifique à l’Institut Méditerranéen Biodiversité Ecologie, chargée de mission pour l'Observatoire de Saisons de Provence. Elle fait de la veille sur les domaines de l'écologie, la biodiversité et la phénologie et crée des supports pour transmettre des connaissances. Elle intervient régulièrement dans les établissements scolaires, anime des conférences pour le grand public et participe à des événements comme la fête de la science, Nature en Fête, la Nuit européenne des chercheurs... Elle analyse pour nous les premières tendances qui se dessinent pour les années qui viennent.
Elisabeth Holtzer, nos saisons sont-elles réellement bouleversées ?
Il est encore difficile d’être catégorique sur cette question car nos travaux entrent dans le domaine des sciences du climat qui nécessite une trentaine d’années d’analyse avant de rendre des conclusions. Nos observations permettent toutefois d’en tirer quelques tendances. On constate, par exemple, que l’arbre de Judée va fleurir une deuxième fois à l’automne. Ce qui n’est pas normal et ce qui est sans doute dû au fait que l’automne ressemble de plus en plus au printemps.
Les saisons telles que nous les connaissons existent-elles encore ?
Nous avons l’impression que les choses se lissent avec des hivers de moins en moins rudes en Provence et qu’il n’y a pas réellement de cassure entre l’hiver et le printemps. Donc les périodes de fleuraison des plantes se mélangent. Les plantes méditerranéennes s’adaptent énormément à leur environnement et saisissent les opportunités qui se présentent. Le récent mois de mars extrêmement pluvieux a d’ailleurs entraîné une forte fleuraison de leur part. Le bassin méditerranéen dispose d’une très forte biodiversité qui est soumise à une très forte pression, à la fois climatique et humaine avec beaucoup de grandes villes.
Elisabeth Holtzer. Crédit photo Muséum d_Aix-en-Provence (6)
Notre région souffre-t-elle davantage du changement climatique que d’autres ?
Elle en souffre différemment. Proportionnellement, nos températures vont, par exemple, moins augmenter que celles de la Bretagne en été, mais nous allons être beaucoup plus touchés par la sécheresse avec 25 % de précipitations en moins. Cela veut dire : plus de jours de canicule, des nuits plus chaudes et des problèmes liés à l’eau. Les régions ne sont pas toutes impactées de la même façon par les dérèglements climatiques et la Provence l’est grandement.
L’ODS observe nos saisons à la loupe !
L’Observatoire des Saisons de Provence est une structure scientifique qui a pour objectif de sensibiliser les citoyens à l’observation du cycle de vie des végétaux afin de recueillir des données sur les effets du changement climatique. Responsable scientifique de l’ODS, Sophie Gachet, est Docteur en Écologie et Maître de conférences à Aix-Marseille Université, membre du laboratoire de recherche IMBE (Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale).
Sophie Gachet. Crédit photo M.Bonnet ODS Provence.
Sophie Gachet, pourquoi avoir créé l’ODS Provence ?
L’ODS Provence a été lancé en 2016 après une sollicitation du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône qui voulait sensibiliser les collégiens aux effets du changement climatique. Il est la première déclinaison régionale du programme national ODS qui existe depuis 15 ans et qui observe la phénologie, c'est-à-dire le développement des êtres vivants en fonction des saisons. Il y a 15 ans, nous commencions déjà à constater des décalages temporels dans le cycle de vie de certaines plantes et dans l’apparition des fleurs, des feuilles et des fruits !
Comment fonctionne l’ODS Provence ?
Pour recueillir un maximum de données, l’ODS s’appuie sur une action participative qui consiste à mobiliser les citoyens, et notamment les scolaires avec l’appui du Conseil Départemental des Bouches-du-Rhône et le soutien de l’académie d’Aix-Marseille, pour nous aider à observer les phénomènes. Les participants suivent un protocole standardisé et focalisé sur environ 90 espèces faciles à reconnaître. Ils nous font remonter leurs observations que nous confrontons et analysons ensuite.
Il y a donc une volonté pédagogique dans votre action…
C’est même l’objectif premier. Sensibiliser le public et lui faire prendre conscience des conséquences de certaines choses. Nous adaptons notre discours à l’âge de nos interlocuteurs car nous ne sommes pas là pour faire culpabiliser les gens ou leur faire peur, notamment les enfants. Nous dressons simplement le constat et nous expliquons que nous pouvons agir. Et une façon d’agir est de nous aider.
Cela représente combien d’analyses chaque année ?
Plus de 2000 sur le plan national, recueillies par des particuliers volontaires et pour beaucoup par des scolaires car notre action se veut éducative et nous faisons de nombreuses interventions en partenariat avec les écoles. Pour vous donner un exemple, nous demandons aux élèves de signaler dans leur espace sur le site Internet de l’ODS à quelle date l’arbre de Judée de leur cour de récréation, cet arbre très répandu en Provence, affiche 10 % de fleurs ou 50 % de fleurs etc... Nous recueillons donc une observation rigoureuse à une date précise et dans un lieu précis que nous couplons aux données météo du jour et du lieu. Cela permet d’affiner les impacts du changement climatique sur le cycle de vie des espèces.
Que vous disent ces données recueillies ?
Il y a des évènements qui vont se produire plus tôt en raison des dérèglements climatiques. Par exemple, les arbres vont débourrer plus tôt (ouverture des bourgeons) car il fait plus chaud. Ils s’exposent donc à des gelées tardives ou bien ne permettent pas aux chenilles de papillons de se nourrir de jeunes feuilles au moment de leur éclosion, car elles auront déjà quelques semaines et seront plus difficiles à grignoter. Cela va donc accroître la mortalité des jeunes chenilles et donc limiter la nourriture des oiseaux ou d’autres espèces. Tout est lié. Un événement sur une espèce a des répercussions sur plusieurs autres et cela entraîne une désynchronisation des cycles de vie.
La Provence est-elle plus impactée par les bouleversements des saisons ?
Oui. Car le bassin méditerranéen fait partie de ces zones pour lesquelles le petit delta de changement de température va avoir de grosses conséquences. 1 ou 2 degrés de plus, cela ne nous paraît pas grande chose mais c’est beaucoup à assumer pour les autres êtres vivants. Nous étudions par exemple les conséquences d’une sécheresse accrue sur le développement des espèces. En Méditerranée, elles sont adaptées génétiquement aux conditions de stress hydrique durant les mois d’été mais celui-ci est plus long et plus intense aujourd’hui au point que, même les espèces méditerranéennes pourtant habituées, sont désormais mises à mal.
Propos recueillis par G.A.