Jean-Paul Kauffmann a été, dans les années 80, l’otage le plus célèbre de France. Enlevé au Liban par le Jihad Islamique, le correspondant de guerre du magazine “L'événement du Jeudi” sera libéré en 1988, après trois ans de détention. A 80 ans, il a signé de nombreux livres dont le dernier en date “L’accident” aux éditions Equateurs. Sa venue à Toulon pour une séance de dédicaces a été l’occasion de faire le point sur son passé et sa nouvelle vie d’écrivain.
Jean-Paul Kauffmann, cette captivité est-elle encore une blessure ?
C’est comme une cicatrice, elle se rappelle à vous lorsque vous passez le doigt dessus, mais vous n'y pensez pas tout le temps. 40 ans après, un certain nombre de choses s'évanouissent, disparaissent. On ne peut pas vivre éternellement avec une histoire semblable.
Jean-Charles Marchiani qui, quelques années après, est devenu préfet du Var, est intervenu pour votre libération. Quel représente-t-il pour vous ?
C'est un ami avec lequel je n'ai jamais cessé d'avoir une relation, de converser, c'est quelqu'un qui fait partie de ma vie. Je crois que les modalités de cette libération, de toute façon, personne ne les connaît de manière exacte ou précise. Et puis je crois, là encore, que d'essayer de savoir ce qui s'est passé, d'essayer de comprendre, ne sert à rien.
Ce dernier livre « L'accident » parle d'une équipe de foot décimée par un accident en 1949... c'est un moment qui a marqué la France mais aussi votre enfance ?
Oui, il a marqué la France sur le moment, pendant les quelques semaines qui ont suivi cette tragédie, et puis on a oublié, comme le reste, mais ça c'est la logique de l'actualité et de l'information. On ne peut pas critiquer ça non plus, mais il était évident que dans la mémoire collective de ce village, cette histoire a pesé de manière extrêmement lourde, et on y pensait, mais on n'en parlait pas.
C'est aussi un moment d'intimité que vous racontez ?
Oui, puisque c'est mon enfance que j'essaie de restituer, un monde disparu, un continent perdu, ce monde de l'après-guerre, évidemment, qui n'a plus rien à voir, et qui apparaît comme un total dépaysement par rapport à ce que nous sommes aujourd'hui. Je fais partie d'une génération née entre 1940 et 1955 et qui a eu le privilège de voir ce monde ancien, cet ordre ancien, mais qui n'existe plus. Je ne veux pas dire que c'était mieux avant. C'est un livre justement contre la nostalgie. Elle ne sert à rien, c'est une passion stérile.
Dans cet écrit, votre détention au Liban transparaît…
Tout à fait, cet accident, c'est aussi cet accident libanais. Donc, oui, je relis les deux dans ce livre, dans la mesure où c'est mon enfance heureuse qui m'a permis de tenir pendant ces trois années libanaises.
Vous qui avez couvert des conflits, quel est votre regard sur notre monde actuel avec une guerre aux portes de l'Europe ?
Je pense que nous souffrons d'un bavardage infini. Ces événements sont importants, graves, mais le fait de les commenter à longueur de journée n'apporte que de la confusion. Je ne vais donc pas apporter ma propre confusion à la confusion générale.
Que pensez-vous du monde des médias et plus précisément du métier de journaliste de nos jours ?
Écoutez, moi j'ai vécu un âge d'or du journalisme dans les années 80. Bon, il est certain que la perception aujourd'hui des journalistes n'est plus du tout la même. Il est possible que nous ayons vécu des moments privilégiés dans cette profession. Elle est très critiquée aujourd'hui. En même temps, tous les jeunes veulent être journalistes. C'est le paradoxe suprême de notre époque. Même si elle est décriée, interroger un certain nombre de jeunes, ce métier les fascine. Alors je n'ai pas d'explication.
Les journalistes sont-ils encore indépendants ?
Indépendant c'est difficile à dire, dans la mesure où de plus en plus de journaux appartiennent à des personnes ayant beaucoup d'argent, une presse indépendante, oui elle existe, c'est chèrement acquis, disons.
Votre regard sur l'élection de Donald Trump ? C'est bien ou c'est inquiétant ?
Oui c'est inquiétant, mais bon écoutez, tout a été dit, le seul problème c'est que je crois que c'est quelque chose de totalement inédit, alors de dire que ça ressemble aux années 30, aux dictateurs tels que Hitler ou Mussolini ou d'autres, je ne crois pas que ça nous aide, je ne crois pas que l'histoire se répète véritablement, elle a toujours quelque chose de nouveau, d'inattendu, et il faut se débrouiller avec ça, et le problème aujourd'hui c'est que je ne suis pas sûr qu'on soit en mesure de se débrouiller, d'apporter des ripostes en conséquence, mais bon, c'est vrai que, comme on dit, les gens sont en état de sidération, vous savez, l'histoire est marquée par l'inattendu, par la surprise, qui aurait pensé que, finalement, à la faveur de cette chose inattendue, par exemple, notre président aurait repris du poil de la bête, vous voyez ?
Connaître la captivité vous a-t-il amené à mieux apprécier la vie, la liberté ?
Pas du tout, je pense qu'au contraire elle m'a donné une consistance, une saveur à la vie d'un survivant, d'un rescapé. C'est ainsi, ça a eu lieu, donc il faut vivre avec. Je dirais comme les philosophes, aime ton destin, ne t'adapte pas à ce qui te manque ou t'a fait mal, dépasse ton ressentiment, ça a eu lieu, donc il faut que tu positives tout ça. Voilà, c'est un peu mon état d’esprit.
Sommes-nous des êtres libres aujourd’hui ?
Nous sommes en liberté surveillée car on sait très bien créer notre propre cage. Mais en même temps, je ne me désespère pas, je pense qu'il faut toujours faire confiance, même si ça paraît un peu bête, un peu nouille de dire ça, je crois qu'il faut faire confiance en l'homme qui est capable aussi de coup de théâtre. L'ange est la bête, il faut faire confiance à l'ange et non pas à la bête.
Légende photo: Maurice Rougemont - Opale.Photo - édition des Equateurs